Article explicatif : Les principaux acteurs et enjeux de la prochaine élection présidentielle en Corée du Sud

Presidential debate banners in Seoul South Korea May 18 2025
Des banderoles présentant les candidats à l’élection présidentielle sud-coréenne sont accrochées au-dessus d’une rue en vue de l’élection présidentielle du 3 juin, le 18 mai 2025, à Séoul, en Corée du Sud. Les électeurs sud-coréens se rendront aux urnes le 3 juin pour élire le remplaçant du président déchu Yoon Suk-yeol, destitué pour avoir déclaré la loi martiale à la fin de l’année dernière. | Photo : Chung Sung-Jun/Getty Images

La Corée du Sud s’apprête à tenir des élections présidentielles anticipées le 3 juin 2025, après la destitution spectaculaire du président Yoon Suk-yeol en décembre 2024, qui a été soutenue par le plus haut tribunal du pays le 4 avril 2025.

En raison de cette situation inattendue, les deux principaux camps politiques font face à des défis internes importants. Kim Moon-soo, le candidat du Parti du pouvoir au peuple (PPP), qui est conservateur, a démarré sa campagne tardivement après la tentative ratée du PPP de forcer M. Kim à négocier avec l’ancien premier ministre Han Duck-soo, une personnalité plus éminente et plus centriste que M. Kim, afin de créer un ticket conservateur uni. Le Parti démocrate (PD), qui est progressiste, s’est quant à lui rallié à Lee Jae-myung, un candidat de premier plan qui est empêtré dans des problèmes juridiques.

Nous examinons ci-dessous deux dynamiques : la division au sein du parti conservateur et la bataille du parti progressiste devant les tribunaux, puis nous expliquons pourquoi elles sont essentielles pour comprendre la trajectoire politique de la Corée du Sud.

Les principaux candidats à la présidence

Lee Jae-myung

Lee Jae-myung

Ancien avocat spécialisé dans les droits de la personne et maire à deux reprises de la ville de Seongnam, M. Lee a attiré l’attention du pays lors des primaires présidentielles du PD en 2017. Lors de l’élection présidentielle de 2022, M. Lee a été battu de justesse par Yoon Suk-yeol. Il a été réélu lors des élections générales de 2024 et a mené le PD à la victoire, consolidant ainsi son rôle de principal chef de l’opposition et de critique éminent de l’administration Yoon.

Le programme de M. Lee s’articule autour d’une politique étrangère pragmatique, axée sur l’instauration d’un climat de confiance entre les deux Corées et sur l’amélioration des relations avec la Chine et la Russie. Il reconnaît la nécessité de renforcer la défense antimissile et les capacités de frappe de la Corée du Sud, tout en soutenant le transfert du contrôle opérationnel en temps de guerre, par lequel les forces armées coréennes reprennent le commandement des forces combinées américano-coréennes en cas de guerre. Pour le parti progressiste coréen, le transfert du contrôle opérationnel en temps de guerre a longtemps été salué comme une étape souhaitable vers la souveraineté militaire de la Corée du Sud et dans la lutte contre la Corée du Nord, mais il risque également de saper l’alliance entre les États-Unis et la Corée du Sud.

Kim Moon-soo

Kim Moon-soo

Ancien militant syndical et gouverneur de la province de Gyeong-gi pendant deux mandats, Kim Moon-soo s’est présenté aux primaires présidentielles du PPP en 2012, mais a perdu face à Park Geun-hye. Sous l’administration de Yoon Suk-yeol, il a été nommé président du Conseil économique, social et du travail, puis ministre du Travail en 2024. M. Kim a gagné en popularité auprès des électeurs conservateurs grâce à sa prise de position contre la procédure de destitution de M. Yoon et a été officiellement désigné comme candidat présidentiel du PPP à la suite de la destitution de M. Yoon.

Le programme de politique étrangère de M. Kim est fondé sur le renforcement de l’interopérabilité de l’alliance entre les États-Unis et la Corée du Sud, ainsi que sur la priorisation de la dissuasion nucléaire contre la Corée du Nord. Il propose de réviser le traité de défense mutuelle entre les États-Unis et la République de Corée afin d’y inclure des dispositions relatives à la protection nucléaire et au déploiement par rotation d’actifs stratégiques américains à un niveau équivalent à un stationnement permanent dans la péninsule coréenne. Contrairement à M. Lee, M. Kim n’accorde pas la priorité au transfert du contrôle opérationnel en temps de guerre. Selon les conservateurs, cette politique pourrait entraîner le retrait des troupes américaines de la Corée du Sud, ce qui menacerait la sécurité du pays, ce dernier ne disposant pas à lui seul d’une force de dissuasion contre la Corée du Nord.

Lee Jun-seok

Lee Jun-seok

Lee Jun-seok, ancien dirigeant du PPP qui vient d’avoir 40 ans (ayant donc l’âge minimum requis pour être candidat à la présidence), a été désigné comme candidat à la présidence du Nouveau Parti réformiste, qui est conservateur. Il a quitté le PPP en 2023 après une longue lutte de factions avec des figures politiques pro-Yoon et le président de l’époque, Yoon Suk-yeol, pendant son mandat à la tête du parti. Malgré sa position conservatrice, il prône une approche plus modérée et réformatrice et séduit les jeunes électeurs étant donné qu’il est le plus jeune candidat.

Le programme de Lee Jun-seok, conservateur et pragmatique, est axé sur la réforme des principales branches du gouvernement, comme la fusion du ministère de l’Unification et du ministère des Affaires étrangères, afin de réduire la bureaucratie et de maximiser l’efficacité. Comme M. Kim, M. Lee plaide en faveur d’une alliance forte entre les États-Unis et la Corée du Sud et a suggéré de renforcer la coopération bilatérale avec le Japon en matière de défense, notamment dans le domaine de la technologie aérospatiale. M. Lee a également proposé de rouvrir le dialogue avec la Corée du Nord s’il est élu.

Les principaux événements et changements de direction ayant précédé le 3 juin

Depuis le 3 décembre 2024, date à laquelle M. Yoon, le président de l’époque, a décrété une loi martiale de courte durée, la politique sud-coréenne est plongée dans la tourmente. En l’espace de cinq mois, trois présidents par intérim – Han Duck-soo, Choi Sang-mok et Lee Ju-ho – se sont succédé. Ce roulement rapide reflète l’impasse politique actuelle entre le parti au pouvoir, le PPP, et le parti de l’opposition, le PD, qui contrôle actuellement le corps législatif en tant que parti majoritaire.

Après la destitution de M. Yoon le 14 décembre, le premier ministre Han Duck-soo a assumé le rôle de président par intérim, mais il a lui-même été destitué deux semaines plus tard. L’accusation du PD portait sur son veto à des projets de loi importants et sur les retards dans la nomination des juges à la Cour constitutionnelle, un enjeu au cœur de l’impasse institutionnelle actuelle entre le PPP et le PD. Son successeur, le vice-premier ministre et ministre des Finances Choi Sang-mok, a cherché un compromis en ne nommant que deux des trois candidats en lice, mais cette décision a provoqué une nouvelle motion de destitution contre M. Choi, dirigée par le PD, le 21 mars. Après la réintégration du précédent président par intérim, Han Duck-soo, dont la destitution a été annulée le 24 mars, M. Choi a pu démissionner le 1er mai, évitant de justesse d’être elle-même destituée.

La polarisation de l’opinion publique s’est intensifiée avec la détention de M. Yoon et les procès devant la Cour constitutionnelle sur sa destitution, culminant dans une émeute au tribunal du district occidental de Séoul le 19 janvier. Dans ce climat de plus en plus instable, des divisions ont commencé à apparaître au sein du PPP. Les partisans pro-Yoon, tels que Kim Moon-soo, ont gagné en popularité en tant que candidats potentiels à la présidence, tandis que des personnalités comme Han Dong-hoon et Hong Joon-pyo ont exhorté le parti à maintenir sa neutralité. Tous deux ont finalement participé aux primaires présidentielles du PPP.

Le 4 avril, l’arrêt unanime de la Cour constitutionnelle confirmant la destitution de M. Yoon a mis fin temporairement à l’impasse institutionnelle. Dans la foulée, les deux partis se sont rapidement tournés vers leurs primaires respectives. Après les démissions successives des présidents par intérim Choi Sang-mok et Han Duck-soo, le ministre de l’Éducation et vice-premier ministre Lee Ju-ho a assumé la présidence par intérim le 1er mai et a été chargé de diriger le pays jusqu’aux élections du 3 juin.

Les principales dynamiques à surveiller lors des élections de juin :  

1. Les luttes intestines au sein des conservateurs atteignent leur paroxysme

Le PPP, encore sous le choc de la destitution de M. Yoon, est amèrement divisé sur la manière d’aller de l’avant. Le 3 mai, après trois tours de primaires, Kim Moon-soo est devenu le candidat du PPP à la présidence. Toutefois, il se heurte au scepticisme de l’opinion publique. Les sondages montrent que le candidat de l’opposition Lee Jae-myung jouit d’une large avance (près de 50 % de soutien), tandis que M. Kim est loin derrière. Pressentant une bataille difficile, la direction intérimaire du PPP a poussé M. Kim à entamer des pourparlers avec Han Duck-soo dans l’espoir de former un ticket conservateur uni avec M. Han, qui est considéré par certains conservateurs comme une figure plus acceptable pour le grand public.

Technocrate chevronné, Han Duck-soo a été premier ministre sous les gouvernements de Roh Moo-hyun et de Yoon Suk-yeol, ce qui fait de lui le seul premier ministre sud-coréen à avoir servi les deux partis. Les tentatives de sélection d’un candidat unique – M. Kim ou M. Han – ont finalement échoué, ce qui a poussé les dirigeants du parti à annuler de manière controversée la victoire de M. Kim aux primaires et à désigner M. Han comme candidat dans une décision prise tard dans la nuit. Le 11 mai, M. Kim a été réintégré comme candidat du PPP et s’est félicité de cette décision, promettant de construire une large coalition conservatrice maintenant que « tout [était] rentré dans l’ordre ». Han Duck-soo a déclaré qu’il « [acceptait] humblement » la volonté des membres du parti et qu’il espérait une victoire conservatrice. La direction intérimaire du PPP a dit regretter l’échec de la tentative d’unité et a proposé de démissionner pour en assumer la responsabilité. Kim a officiellement déposé sa candidature avant la date limite du 11 mai, ce qui a permis au bloc conservateur d’avoir un seul candidat. Cependant, la semaine de luttes intestines, à l’issue de laquelle M. Kim a retrouvé de justesse son investiture, a laissé des fissures persistantes au sein du camp conservateur, notamment chez l’autre candidat conservateur, Lee Jun-seok, qui se présente toujours seul et n’envisage pas de s’unir à Kim Moon-soo.

2. Le chef de l’opposition est confronté à une tempête judiciaire  

Du côté progressiste, le PD s’est rallié à son chef Lee Jae-myung, mais il fait face à une crise différente. En effet, des risques judiciaires menacent de compromettre sa candidature. Le 1er mai, la Cour suprême du pays a annulé l’acquittement de M. Lee, accusé d’avoir violé la loi électorale, et a ordonné la tenue d’un nouveau procès.

L’affaire porte sur des allégations selon lesquelles M. Lee aurait fait de fausses déclarations lors d’un débat présidentiel en 2022. Plus précisément, il aurait nié avoir des liens avec un scandale de corruption, ce qui, selon les procureurs, équivaut à une infraction à la loi électorale. M. Lee a été trouvé coupable, ce qui a jeté une ombre sur son éligibilité. Outre l’affaire d’infraction à la loi électorale, M. Lee est également impliqué dans des enquêtes de corruption en cours, notamment sur un projet de développement urbain controversé datant de son mandat de maire, que ses opposants citent comme preuve d’une conduite contraire à l’éthique. Le PD a qualifié les démêlés judiciaires de M. Lee de manœuvres partisanes et a réagi avec colère à la décision de la Cour suprême. Les responsables du parti ont dénoncé un « coup d’État judiciaire » et ont même menacé de destitution le président de la Cour suprême.

Heureusement pour M. Lee, le nouveau procès et la procédure d’appel, initialement prévus pour le 15 mai, ont été reportés après les élections. Toutefois, l’incertitude est importante. Si M. Lee est finalement reconnu coupable et condamné à une amende supérieure à un certain seuil, il pourrait se voir interdire l’exercice de ses fonctions, voire être déchu de la présidence s’il était élu. La simple perspective de ce résultat a incité le PD à déposer d’urgence une motion visant à exempter les présidents en exercice de ces charges juridiques. Cette confrontation entre l’opposition et le pouvoir judiciaire ajoute une nouvelle couche de volatilité à la course. L’issue, ou l’escalade, de ces questions juridiques dans les dernières semaines sera cruciale : elle pourrait soit galvaniser la base de M. Lee pour qu’elle se mobilise contre l’injustice perçue, soit éroder suffisamment la confiance des électeurs indécis pour modifier le résultat de l’élection.

Une longue liste de choses à faire après le 3 juin

La vacance de pouvoir sans précédent à la tête de la Corée du Sud a amené plusieurs pays à prendre leurs distances, la Corée du Sud se retrouvant mise à l’écart des réunions bilatérales avec ses principaux alliés et partenaires. L’ancien secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, et son successeur, Pete Hegseth, ont tous deux ignoré la Corée du Sud lors de leurs visites en Asie en décembre et en mars. Le premier ministre japonais Ishiba Shigeru a également abandonné son projet initial de sommet bilatéral avec M. Yoon en janvier.

Le manque de leadership a également empêché la Corée de répondre rapidement à plusieurs défis de politique étrangère au cours des derniers mois, notamment l’imposition (et la suspension ultérieure) de tarifs douaniers de 25 % par le président américain Donald Trump, l’empiètement de la Chine en mer Jaune et la reconnaissance formelle par la Corée du Nord du déploiement de troupes en Russie.

Lee Jae-myung étant toujours largement en tête des sondages, tous les regards se porteront sur la capacité du PPP à attirer les électeurs qui n’aiment pas M. Lee. Quel que soit le vainqueur du 3 juin, la marque indélébile laissée par les troubles politiques de ces six derniers mois – polarisation politique profonde, méfiance généralisée à l’égard du système juridique et désir d’une réforme politique intérieure attendue depuis longtemps – pourrait détourner la prochaine administration de ses objectifs de relance d’une économie en difficulté et de refonte de la politique étrangère du pays.

Sun Ryung Park

Sun Ryung Park Ph.d. est chercheuse-boursière, Asie du Nord-Est, à la Fondation Asie-Pacifique du Canada. Elle s'intéresse à la transition écologique, à la sécurité énergétique et à la transformation numérique dans la région Asie-Pacifique.

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Hyun Kim est chercheuse-boursière, Asie du Nord-Est à la Fondation Asie Pacific du Canada, financé par le programme Global Challengers de la Korea Foundation. Hyun détient une maîtrise en sciences politiques axée sur la sécurité internationale de l'Université Hankuk des études étrangères.

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Jeehye Kim

Jeehye Kim PhD est gestionnaire principale du programme pour l’Asie du Nord-Est à la Fondation Asie Pacifique du Canada, supervisant le programme de recherche lié au Japon, à la Mongolie, à la Corée du Nord et au Sud et à Taïwan.

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