En avril, les États-Unis ont imposé des droits de douane de base de 10 % sur la quasi-totalité des importations, et ont fait des propositions de taux plus élevés selon le pays pour leurs principaux partenaires commerciaux. Le Japon a été durement touché : il risque de se voir imposer des droits de douane de 24 % sur ses exportations à compter du 9 juillet, à moins que les deux parties ne parviennent à un accord avant cette date.
Des droits de douane distincts de 25 % sur les importations d’automobiles, ainsi que le rétablissement des droits de douane de 25 % sur tous les produits en acier japonais et l’augmentation des droits de douane sur l’aluminium à 25 %, sont déjà entrés en vigueur, ce qui a incité le premier ministre japonais Shigeru Ishiba à qualifier ces droits de douane de « crise nationale » pour la quatrième économie du monde.
Comme lors du premier mandat du président américain Donald Trump, le Japon est confronté au défi de protéger ses intérêts économiques sans déstabiliser son alliance avec les États-Unis, alliance qui a été la pierre angulaire de la paix, de la stabilité et de la prospérité dans la région indo-pacifique. La réponse de Tokyo cette fois-ci reflète toutefois les leçons qu’elle a tirées du premier mandat de M. Trump, lorsque son approche reposait sur une « diplomatie discrète » et des concessions sélectives.
Il y a bien sûr une certaine continuité. Le Japon continue de mettre l’accent sur l’investissement (c’est-à-dire de souligner la contribution des entreprises japonaises à l’emploi et à l’industrie manufacturière aux États-Unis), d’éviter des représailles à grande échelle et de résister à l’escalade des discours. Toutefois, le ton et les tactiques diplomatiques ont nettement changé, même si les objectifs primordiaux restent similaires. Sous le premier ministre Shinzo Abe (2012-2020), le Japon s’est fortement appuyé sur une diplomatie personnalisée et un bilatéralisme informel, tenant rarement tête aux États-Unis en public et se positionnant systématiquement comme un partenaire de sécurité coopératif.
En revanche, M. Ishiba n’entretient pas les mêmes relations personnelles avec M. Trump, ce qui l’a incité à adopter une stratégie diplomatique plus formelle et plus institutionnelle. L’approche actuelle du Japon comprend une plus grande coordination avec d’autres partenaires commerciaux, une volonté de critiquer publiquement les mesures commerciales américaines et un recours accru au multilatéralisme fondé sur des règles en tant que cadre de résistance. Ces changements reflètent plus qu’une simple différence de style de leadership : ils signalent un recalibrage plus important en réponse à la nature plus agressive et imprévisible de la politique commerciale du second mandat de Donald Trump.
La stratégie du Japon pendant le premier mandat de Donald Trump : diplomatie et concessions ciblées
Au début de son premier mandat, Donald Trump a retiré les États-Unis du Partenariat transpacifique (PTP), un accord commercial que le Japon avait défendu. M. Abe a réagi en pratiquant une diplomatie personnelle – devenant le premier chef d’État étranger à rencontrer M. Trump après l’élection présidentielle américaine de 2016 – et en lançant le dialogue économique entre les États-Unis et le Japon en avril 2017 afin de gérer les frictions économiques bilatérales.
Néanmoins, le premier conflit commercial a eu lieu en mars 2018, lorsque M. Trump a imposé des droits de douane de 25 % sur toutes les importations d’acier et de 10 % sur toutes les importations d’aluminium en vertu de l’article 232 de la Loi sur l’expansion du commerce (Trade Expansion Act) des États-Unis, en invoquant des préoccupations de sécurité nationale. Il a été remarqué que Japon n’avait pas bénéficié d’une exemption. Dans un premier temps, Tokyo a fait preuve de retenue, évitant les représailles directes tout en continuant à demander des exemptions par la voie diplomatique. Cette « diplomatie discrète » reflétait l’importance que le Japon accorde depuis longtemps à la stabilité de ses alliances et à la négociation plutôt qu’à la confrontation.
Toutefois, deux mois plus tard, lorsqu’il est devenu évident que les États-Unis n’accorderaient pas d’exemptions, le Japon s’est préparé à imposer des droits de douane en représailles sur des marchandises américaines d’une valeur de 409 millions de dollars américains, soit l’équivalent du coût estimé des mesures américaines. Tokyo a ensuite officiellement notifié à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) son intention de suspendre les concessions.
Dans ce contexte, la suspension des concessions signifiait que le Japon avait l’intention de retirer la clause de la nation la plus favorisée à certains produits américains. En vertu de cette clause, un pays s’engage à ne pas traiter les importations d’un autre pays plus mal qu’il ne traite les importations de n’importe quel autre pays. Cette démarche était inhabituelle pour le Japon, qui avait jusque-là préféré des négociations empreintes de patience. Le Japon n’a pas fini par imposer ces contre-droits de douane, mais cet épisode a marqué un changement dans sa stratégie de gestion de la pression commerciale de Donald Trump, indiquant que le processus d’« apprentissage » du Japon avait déjà commencé au cours du premier mandat du président américain.
À la mi-2018, les préoccupations du Japon concernant les droits de douane imminents sur les automobiles, que Donald Trump a décrits comme des droits de douane potentiels de 25 % sur les voitures étrangères, l’ont incité à entamer des négociations commerciales bilatérales avec les États-Unis. En septembre 2018, l’administration Abe a accepté de négocier un accord commercial limité afin d’éviter une nouvelle escalade. Les pourparlers ont abouti à l’accord commercial entre les États-Unis et le Japon de 2019, dans lequel le Japon a promis d’éliminer ou de réduire les droits de douane sur certains produits agricoles américains. En retour, M. Trump a mis de côté la menace de droits de douane sur les automobiles, assurant au Japon qu’il ne frapperait pas ses exportations d’automobiles de droits de douane au titre de l’article 232, tant que l’accord resterait en vigueur.
Tokyo a en fait réussi à protéger son secteur automobile, qui est vital pour son économie, en ouvrant son marché juste assez pour satisfaire M. Trump. Pendant le reste du premier mandat de Donald Trump, la stratégie du Japon a combiné diplomatie et concessions sélectives, tout en adoptant un ton amical – Shinzo Abe a souvent mis en avant les investissements des entreprises japonaises en faveur de l’emploi aux États-Unis pour apaiser Donald Trump – et en cédant du terrain lorsque cela était possible, notamment en autorisant davantage d’importations de bœuf et de blé américains. En effet, les exportations de bœuf américain vers le Japon sont passées de 1,9 milliard de dollars américains en 2017 à 2,4 milliards de dollars américains en 2021, soit une augmentation de 26 %.
Second mandat de Donald Trump : s’adapter à un environnement commercial plus difficile
La réimposition des droits de douane au cours du second mandat de M. Trump marque une phase plus conflictuelle de la politique commerciale des États-Unis. Les droits de douane de base de 10 % sur toutes les importations promulgués en avril ont été accompagnés de propositions de droits de douane réciproques pour les pays ayant des excédents commerciaux. Le Japon, dont l’excédent s’élèvera à 63 milliards de dollars américains en 2024, était visé par des droits de douane « réciproques » potentiels de 24 %.
Bien que la mise en œuvre ait été reportée au 9 juillet, les droits de douane de base de 10 % sont déjà en vigueur. Parallèlement, des droits de douane de 25 % sur les véhicules importés ont été mis en place en avril, suivis en mai par des droits de douane similaires sur les principaux composants automobiles.
La réponse du Japon à ces mesures tarifaires reflète des ajustements tactiques par rapport à sa diplomatie discrète et à ses concessions sélectives au cours du premier mandat de M. Trump. L’un des principaux changements concerne le leadership : Shigeru Ishiba, qui a pris ses fonctions à la fin de 2024, n’a pas les mêmes relations personnelles avec Donald Trump que Shinzo Abe. Au contraire, le ton diplomatique du Japon est devenu plus ferme et plus sobre. M. Ishiba et ses ministres ont publiquement exprimé leur « déception » et leur « vive inquiétude » à l’égard des décisions tarifaires de M. Trump, bien qu’en termes mesurés. En outre, les responsables japonais remettent ouvertement en question la légalité et le bien-fondé des mesures prises par Donald Trump, en soulignant les incohérences avec les règles de l’OMC. Le Japon n’a pas pris de mesures de représailles, mais le ministre du Commerce, Muto Yoji, a déclaré que le Japon devait décider de sa ligne de conduite « de manière prudente, mais audacieuse et rapide », ce qui laisse présager un changement de ton et de stratégie de la part du pays.
En réponse à l’échéance du 9 juillet, le Japon a dépêché un négociateur commercial de premier plan, Akazawa Ryosei, à Washington pour de multiples séries de discussions. Lors d’un appel téléphonique avec M. Trump le 23 mai, M. Ishiba a réitéré la position du Japon et a lié la suppression des droits de douane à une coopération économique et stratégique plus large. Il a également précisé que le Japon ne ferait pas de concessions disproportionnées, une position avancée en partie en raison de pressions politiques internes.
Si le Japon a évité les représailles directes, il a également étoffé sa réponse stratégique. Contrairement à l’approche essentiellement bilatérale adoptée par le Japon au cours du premier mandat de M. Trump, Tokyo met désormais davantage l’accent sur la coordination avec d’autres puissances moyennes. Un exemple est le changement de statut de la relation entre le Japon et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) : en la faisant passer à un partenariat stratégique global en 2023, le Japon a signalé un engagement en faveur d’une coopération économique et sécuritaire plus profonde. Ce partenariat englobe des initiatives telles que des stratégies conjointes sur la production automobile, la résilience de la chaîne d’approvisionnement et le commerce numérique, reflétant un effort concerté pour contrebalancer les pressions économiques extérieures.
En mai 2025, M. Ishiba s’est rendu au Viêt Nam et aux Philippines, marquant ainsi la volonté de Tokyo de « s’ancrer fortement » en Asie du Sud-Est. Au cours de ces rencontres, le Japon a réaffirmé l’importance de renforcer les liens commerciaux bilatéraux dans la région. Dans l’ensemble, ces développements soulignent que le Japon s’est orienté vers des partenariats diversifiés et multilatéraux visant à renforcer la résilience régionale face aux actions commerciales unilatérales.
Répercussions pour le Canada
En fin de compte, le Canada et le Japon, en tant que membres du Groupe d’Ottawa — une coalition informelle de membres de l’OMC partageant les mêmes idées, dirigée par le Canada et établie en 2018 — ainsi que d’autres coalitions axées sur le commerce, ont un intérêt commun à défendre le système commercial multilatéral tout en gérant les conséquences des actions unilatérales des États-Unis.
Jusqu’à présent, le multilatéralisme a largement fonctionné comme une coalition d’États mécontents, cherchant à atténuer les effets des actions commerciales des États-Unis sans affronter directement Washington. Toutefois, l’unilatéralisme soutenu des États-Unis pourrait accélérer l’approfondissement de la coopération institutionnelle au niveau régional, en particulier dans les forums où les États-Unis ne sont pas activement impliqués ou invités. Si cette tendance se poursuit, le système mondial fondé sur des règles que les États-Unis ont contribué à construire pourrait commencer à fonctionner indépendamment d’eux. En outre, une action coordonnée des puissances moyennes – par le biais d’autres pactes commerciaux, d’une fixation commune des normes ou de mécanismes collectifs de règlement des différends – pourrait éroder la capacité des États-Unis à dicter les règles de l’ordre commercial mondial.
Pour le Canada, cela représente à la fois un défi et une opportunité. D’une part, l’affaiblissement de la position centrale des États-Unis pourrait entraîner une plus grande incertitude pour les exportateurs canadiens. D’autre part, une coordination plus étroite avec des partenaires partageant les mêmes idées – par exemple dans le cadre du groupe d’Ottawa, de l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste ou du G7 – pourrait renforcer la capacité du Canada à s’opposer collectivement aux tactiques commerciales coercitives tout en renforçant un système davantage fondé sur des règles et aligné sur ses intérêts à long terme.